30 ans ∞ Bristol, England ∞ Anglaise ∞ Journaliste ∞ Divorcée ∞ Uisce ∞ Emilia Clarke
Je lis la lettre depuis une demi-heure. Deux, puis trois, puis quatre fois et ainsi de suite. Le Daily Telegraph coupe mon travail de moitié? Vraiment? C’est tout ce que Fallon a trouvé pour contenter sa connasse de maîtresse sans devoir renvoyer l’une de ses journaliste qui a vraiment sa place là-bas? Salma Lawford, cette vipère qui reste dans mon sillage en tentant de voler tout ce que j’ai depuis 1 an! Elle a même fini par s’abaisser à coucher avec le rédacteur-en-chef pour tenter d’avoir mon poste. Elle est énervante au possible, névrosée, capricieuse et tellement cruche que j’ai envie de lui verser des pichets de jus dessus. Mais maintenant que j’en suis à mon énième relecture, je me vois partagée entre la satisfaction que Fallon n’a pas pu se résoudre à me renvoyer et la frustration de savoir que désormais, la moitié de mon boulot sera accompli par cette midinette dotée du talent d’un croûton à salade. Je rumine, je songe, je peste puis je me calme. Je ne peux pas m’ôter de la tête que je suis soulagée. Le Daily Telegraph, plus que n’importe quel autre journal, c’est un endroit qui demande à une journaliste tout son temps, son énergie et parfois même… remettre sa propre intégrité en question. Les grosses têtes du DT jouent parfois avec l’information avec un hochet et nous en bas, nous finissons en simple scribes de leurs idées. Pour être franche, c’est bien parce que je me suis fait une place et que ça m’amène de la reconnaissance et me permet d’avancer dans ma carrière que je continue de travailler là. Mes collègues, sauf la grosse tache de Salma, sont aussi tous très passionnés et bien souvent hauts en couleur. Mais ce coup de pute de la part de Fallon? Ça me fait sentir que je n’ai pas fini d’en voir des vertes et des pas mûres, que le pot de colle gagne du pouvoir sur lui et que je ferais mieux de changer de cap maintenant, avant d’être mise à la porte. Je dois jouer la carte de l’indépendance. Fallon adore ce que je fais, s’il sent que je peux et veut partir, il n’osera pas m’évincer. Et je ne veux surtout pas que le Daily Telegraph pâtisse du manque de professionnalisme de mon imbécile de patron.
Je réfléchis en me servant un verre de Whiskey, finissant par lâcher la lettre. Ce que je ne veux pas non plus, c’est rester dans le même air. Depuis mon divorce que j’y pense, mais je ne m’y suis jamais résolue, à cause du boulot, parce que je me faisais du mal en restant dans la région Londonienne et que je le méritais bien. Aussi parce que je m’accrochais aux souvenirs comme à une bouée. Mais tout ça, c’est fini. On ne peut pas dire que j’aie accepté, ou même que je me sente sereine, mais j’ai appris à vivre avec, à lâcher prise. J’avais mis le coup de grâce à ma vie, et aujourd’hui, je dois vivre avec, mais je n’ai pas à souffrir plus que je souffre déjà en repensant à mon passé, j’en ai fini avec Londres.
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Depuis un mois, j’envoyais mon CV à plusieurs journaux, je parlais à mes contacts, je cherchais ce qui pourrait m’intéresser. Et finalement, c’est hier que j’ai eu ce sentiment d’exaltation en lâchant le combiné avec ma future patronne. Je serais vraiment entrain de sauter partout dans mon appartement, si ce n’était pas d’un problème majeur. C’est à Kilkee, en Irlande. Là où Aedan vit maintenant. J’étais tellement intéressée et excitée par ce que j’avais lu de cette ville, ce qu’on venait de m’en dire au téléphone que je n’ai pas hésité, encore moins réfléchit, j’ai dit oui.
Ça doit bien faire une heure que je fais les cent pas dans mon appartement à me demander : comment je le lui dis? J’ai le cœur qui fait des sauts périlleux à chaque fois que je pense à lui, j’ai encore ce petit sourire béat quand il m’appelle. Comment diable vais-je pouvoir vivre dans la même ville et ne pas imploser entre l’envie de le laisser vivre et de ne plus me mêler de sa vie et mon air d’ado en pamoison chaque fois qu’il daigne me montrer qu’il se rappelle que j’existe? Puis je me dis, ce ne sera peut-être plus pareil, une fois déménagée. Depuis le temps, j’ai appris et je me suis calmée. J’ai beau l’aimer encore, je me rends parfaitement compte que j’ai gâché ma chance. Lizzie, maintenant tu te calme. Ça va très bien se passer, de l’eau a coulé sous les ponts, Kilkee est une ville fantastique et Aedan ne t’en voudra pas. Calme-toi, d’accord?
C’est sur ce petit moment où je me parle toute seule que ma grande sœur Pattie arrive comme une bombe nucléaire dans mon appartement, avec journaux et PC portable. Je ne lui ait absolument pas dit que là où je déménage, c’est là où mon ex-mari vit. Et comme elle ne veut plus m’entendre parler de cette histoire ou de lui depuis des années, elle n’a sans doute pas fait le lien. Par contre, elle a compris qu’il faudrait déménager. Et ma nomade de grande sœur adore les déménagements.
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Pose tes fesses sur ce sofa, on a du pain sur la planche! -
Mais oui, bonjour à toi aussi, sœurette! Réponds-je en allant m’asseoir et en riant.
Pattie prend à peine le temps de me faire la bise que nous commençons à chercher des appartements ou des petites maisons. Rien de trop cher cependant, je ne suis qu’à mi-temps au Telegraph, mi-temps au journal de Kilkee. Ça fait un changement dans mon budget, disons. Patricia est une machine de guerre, un tank de négociations, fidèle à son habitude. Moi par contre… on sent que je n’ai pas ma verve habituelle. J’y repense encore. Le problème Aedan m’est venu en tête ce matin et plus le temps avance, plus mes pensées me ramènent à la fin. Je repense finalement à pourquoi j’ai fait ça, il y a plus de trois ans. Je me rappelle comment je rêvais d’avoir un bébé. Ça m’avait prise très soudainement. Pas une énorme famille, juste un enfant. Et comment je n’avais jamais pu trouver un moment où mon mari pouvait me parler plus de cinq minutes. Mon voisin qui s’était fait compatissant, rassurant dans mes déprimes où tout était froid et vide. Et ce jour où j’avais bu la coupe de vin de trop et… le visage d’Aedan, mon Aedan. La culpabilité m’aura poignardée pendant plus de deux ans et demi, avant que je me pardonne un peu… ou m’y insensibilise, je ne sais pas. Trois ans, ça parait odieusement long et je dois paraître odieusement lente, mais je sens que je réapprends finalement à vivre, même avec un cœur brisé. Je me suis déjà fait payer moi-même, bien assez. Il faut que j’oublie ça et que j’essaye de l’oublier lui. Il mérite bien que mon esprit lui lâche les basques un peu… et peut-être que je mérite finalement d’aller de l’avant. À Kilkee.
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Mademoiselle? Mademoiselle êtes-vous toujours là? Demande une voix dans le combiné.
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…O-oh oui pardon, je… c'était mon chat! Lizzie, ça c'était stupide.
Oui alors une maison vous dites?Je me reprends finalement, sous le regard intrigué de ma sœur qui s’inquiète. Mais je lui fais un grand sourire rassurant. Je commence à être en paix avec tout ça. Enfin, je crois. Au moins ça me rends heureuse pour le moment, c’est ce qui compte. Ma chère amie Salma ne doit pas avoir le même sourire, dans le lit de monsieur Fallon!... Okay, c’était méchant mais elle m’a vraiment cherchée pour le coup. Tant qu’il n’y a pas de Salma à Kilkee, je devrais arriver à rester gentille!