Toute la journée j’ai fixé mon éditeur de texte, le regard un peu dans le vide et la moue lasse. Il y a de ces jours quand on est dans le domaine de l’écriture, toute inspiration, motivation et même estime de soi disparaît. Pendant un moment, on ne sait plus comment écrire – non, pas dans le sens de devenir illettré, voyons – on ne sait plus comment réunir les mots de manière harmonieuse, leur sens se perd et leur goût devient amer. Et la page reste immaculée, pure comme l’eau des glaciers. Depuis le temps que je suis dans le métier, je n’ai même plus honte de le dire. Ce matin, je me suis tapé une bonne angoisse de la page blanche. Franchement, y’a rien de plus dur qu’écrire alors que rien ne vient, on se sent comme une machine, chaque phrase nous parait futile, stupide ou simplement très laide. Et pourtant j’ai dû passer par-dessus ça et continuer mon article. Toute la journée que j’ai dû combattre l’horrible sentiment d’écrire un amas de merde et pourtant je viens quand même de cliquer sur « Send » et de l’offrir aux critiques du rédacteur-en-chef du Telegraph.

Je soupire et me lève finalement quittant l’écran du regard. Je dois encore terminer mon article pour Helena d’ici après-demain mais pour le moment, hors de question. Je n’y arrivais déjà pas à la base, mais maintenant finit, si je dois revoir la blancheur numérique de Word, je me tape un burn out à coup sûr. Je regarde l’horloge. La fine aiguille bleue des secondes a le temps de faire quelques tours – pendant lesquelles je me dis que je n’arrive pas à croire que Kilkee m’ait retournée au point que je ne sois pas capable d’écrire, chose qui est si naturelle pour moi d’habitude – avant que je ne décide d’aller faire un tour. On est en fin de journée, je peux bien me permettre une pinte de bière rousse à l’Avalon, non? Quoique, si Aedan y est, ça semble être un habitué et… oh et puis fichtre. Après tout, c’est moi l’intruse ici à la base, alors S’il est là, je n’irai pas le faire chier et voilà tout! J’attrape donc mon sac et sort de chez moi, direction le pub.

Une fois arrivée, je vais bien vite rejoindre une place au fond du commerce, désireuse d’être un peu seule, savourant ma bière. Je regarde un peu mes SMS reçus, puis commence à jouer à un Casse-brique sur mon téléphone, plus par envie d’éviter de penser aux dernières semaines que par intérêt envers le jeu. Bien sûr, vu qu’aujourd’hui est décidément ma journée, au moment où je bas finalement mon highscore j’entends la chaise en face de la mienne être tirée, ce qui me fait aussitôt oublier mon téléphone et regarder l’arrivant qui se lance aussitôt dans une diatribe à propos de moi et d’Aedan. Que le seigneur m’en soit témoin, depuis que je suis arrivée ici, même quand j’essaie de l’éviter ça me tombe sur le nez! Je serre les dents et le regarde, clairement, Aedan lui a parlé de moi, ça se voit et franchement, je n’en suis pas rassurée du tout. Bon… je suppose que pour Aedan, je devrais tâcher de rester correcte, personne n’a envie d’être spectateur d’une guerre entre une ex et un pote, mais je ne suis pas sans caractère et surtout, je ne suis pas un paillasson. Je prends donc ma bière pour rincer ce reste de Va te faire foutre qui a bien manqué sortir et je lui réponds.

« Pourquoi est-ce que c’est à moi que tu viens poser la question? De toutes les personnes au monde susceptible de te devoir des réponses, je ne suis clairement pas en top 10 de la liste! » Dis-je en le fixant, insinuant qu’il devrait plutôt aller questionner son meilleur ami que me sauter à la gorge. « Mais si tu veux tout savoir, j’étais ici pour boire une bière et relaxer… jusqu’à ce que tu arrives, Robb. Alors si tu veux me garder à l’œil, vas-y rien ne te retient mais franchement je ne suis pas si bonne que ça au Casse-brique! »

Je le regarde. Je n’ai même pas envie de répondre à sa vraie question, ou de me faire sérieuse et de prouver ma bonne foi. Aedan le sait et ça me suffit, si il n’a pas réussi à en parler à son meilleur ami et retenir un peu ce dernier d’aboyer, ce n’est pas mon problème et moi qui essaie de rester loin de sa vie, je pense un quart de seconde que ce serait quand même bien que la susmentionnée arrête de venir se fracasser contre ma porte à tout bout d’champs. Respire Lizzie, c’est immature ton truc, t’as passé l’âge voyons. Les bruits autour forment un nuage de sons indécis et je me concentre là-dessus pour piler un peu sur mon orgueil et ajouter.

« Sérieusement, je ne compte rien faire si ce n’est travailler. Je lui ai promis de ne pas entrer dans sa vie et je compte bien la tenir, cette promesse.» avouai-je l’air grave, repensant à toutes celles que j’avais brisées un jour il y a trois ans. C’était la moindre des choses et même si j’ai été terrible, je ne suis quand même pas une horrible sorcière qui veut détruire sa vie, la preuve en est le divorce, où je n’ai même pas fais le moindre remous. C’est encore ce que je tente d’ailleurs, ne pas faire de remous… par contre en Irlande il semble que les vies soient comme l’eau contre les falaises : déchaînées et constamment en train de s’entrechoquer.