Le partage est le meilleur des apprentissages

Planqué au milieu des étagères, entouré par ses très chers bouquins, Sevan était un homme heureux. Comme quoi, il ne demandait pas beaucoup de la vie. Si ce n'est peut être un peu plus de passage dans sa librairie, ce qui aiderait ses finances à se porte un petit peu mieux. Mais bon, il avait eu parfaitement conscience des désavantages du métier lorsqu'il l'avait choisi. Et malgré tout, il avait réussi à vivre son rêve en ouvrant la petite boutique dans le centre ville et parvenait toujours à payer le loyer et l'électricité, se nourrir et s'habiller. Merveilleuse vie. Si d'autres ne voyait pas le bonheur sans le confort matériel, le roux pouvait parfaitement en faire abstraction. Sifflotant doucement dans le local vide, il était occupé à ranger les dernières commandes. Cela, particulièrement, lui prenait énormément de temps. Il devait vérifier le nombres de livres commandés et celui d'ouvrages livrés pour ne pas se faire arnaquer. Et puis feuilleter tous les exemplaires pour s'assurer en vitesse qu'il n'y avait aucun défaut susceptible de lui faire perdre sa crédibilité de vendeur. Après, si le temps s'y prêtait et qu'un texte en particulier retenait son attention, il s'installait dans un des nombreux fauteuils -privilégiant souvent celui en cuir pas trop loin de l'entrée- et prenait un moment pour profiter du plaisir simple de la lecture. Enfin, dernière étape occasionnelle, si le livre lui avait particulièrement plu et qu'il était susceptible de plaire de même à son ami, il appelait Lysander. Cela faisait un moment que Sevan s'était proclamé conseiller officiel du Dickens en lecture. Et pour autant qu'il puisse en juger, il était plutôt bon.

Quoique, justement, c'était assez dur d'en juger. A vrai dire, la seule manière qu'il avait de savoir que son meilleur ami avait effectivement lu et apprécié sa recommandation était les longs débats qu'ils partageaient de temps en temps sur l'ouvrage en question. Oh, et Sevan pouvait passer des heures à discourir sur tous les petits détails des récits si on ne l'arrêtait pas ! Tout comme lui et Lysander pouvait rester un temps incalculable à discuter d'astronomie, chose qui devenait vite insupportable pour d'autres. Mais ils étaient des passionnés. Enfin, toujours est il que le roux avait subtilement prévenu -harceler ? Non il n'oserait paas- le brun qu'un livre lui était mis de côté à la librairie. Une histoire de science-fiction comme il en existait tant mais dont les nombreux clins d'oeils et références à d'autres univers ne passeraient surement pas inaperçu pour Lysander. En tout cas Sevan l'espérait car sinon il ne pourrait pas profiter dignement de l'histoire. Mais comme le monde n'attendait pas le bon vouloir de l'astronome et continuait de tourner même quand celui-ci jouait aux reclus. Et donc notre écossais se devait de faire tourner la boutique. Ce qui passait -maintenant que la mise en rayons des nouveautés était achevée-par le déplacement des livres scolaires qui trouveraient leur place au fond du magasin. Après tout, ceux qui venaient ici pour ce genre de manuels partaient rarement sans et s'il pouvait s'arranger pour qu'ils passent par un maximum d'autres rayons et subissent quelques tentations d'achats, Sevan était preneur.

Et c'est là que le drame quotidien fit son entrée. Parce que s'il y avait une chose à savoir sur le libraire, c'était que, même s'il était célibataire, il y avait une compagne qui ne le quitterait sans doute jamais : la maladresse. Ce ne fut donc pas vraiment à sa grande surprise que le petit déménagement se termina avec sa propre personne au sol, sous une montagne de manuels scolaires et coincé par deux étagères qui avaient ajouté leur précédent contenu aux dits manuels. Voyant le côté positif des choses, il se rassura en songeant qu'il aurait pu être blessé. Comme quoi, il pouvait y avoir pire. Cependant pas moyen de se sortir de là tout seul. Et son portable était resté près de la caisse. Avec un soupir, Sevan prit la seule décision qu'il pouvait faire et se mit à attendre patiemment que quelqu'un rentre et vienne l'aider. Ce qui ne prit pas moins d'une bonne vingtaine de minutes si on en croyait la vieille montre qu'il avait au poignet. « Devines qui est là ? » Bon Dieu, il aurait pu embrassé Lysander s'il n'était pas enseveli vivant ! Dire que pourtant il était la dernière voix qu'il s'attendait à entendre aujourd'hui... Son ami avait bien choisi son timing pour pointer le bout de son nez à l'extérieur. « Lysander ! Tu tombes bien, un coup de main ne serait pas de refus... J'ai-j'ai comme qui dirait eu un petit accident. »